Название | François le champi / Франсуа-найденыш. Книга для чтения на французском языке |
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Автор произведения | Жорж Санд |
Жанр | Биографии и Мемуары |
Серия | Littérature classique (Каро) |
Издательство | Биографии и Мемуары |
Год выпуска | 1850 |
isbn | 978-5-9925-1530-5 |
– Croyez-vous? dit la Zabelle; ça serait une peine pour moi, car cet enfant-là, voyez-vous, est d’un cœur comme on n’en trouve guère; ça ne se plaint jamais, et c’est aussi soumis qu’un enfant de famille; c’est tout le contraire des autres champis, qui sont terribles et tabâtres, et qui ont toujours l’esprit tourné à la malice.
– Parce qu’on les rebute et parce qu’on les maltraite. Si celui-là est bon, c’est que vous êtes bonne pour lui, soyez-en assurée.
– C’est la vérité, reprit la Zabelle; les enfants ont plus de connaissance qu’on ne croit. Tenez, celui-là n’est pas malin, et pourtant il sait très bien se rendre utile. Une fois que j’étais malade, l’an passé (il n’avait que cinq ans), il m’a soignée comme ferait une personne.
– Ecoutez, dit la meunière: vous me l’enverrez tous les matins et tous les soirs, à l’heure où je donnerai la soupe à mon petit. J’en ferai trop, et il mangera le reste; on n’y prendra pas garde.
– Oh! c’est que je n’oserai pas vous le conduire, et, de lui-même, il n’aura jamais l’esprit de savoir l’heure.
– Faisons une chose. Quand la soupe sera prête, je poserai ma quenouille sur le pont de l’écluse. Tenez, d’ici, ça se verra très bien. Alors, vous enverrez l’enfant avec un sabot dans la main, comme pour chercher du feu, et puisqu’il mangera ma soupe, toute la vôtre vous restera. Vous serez mieux nourris tous les deux.
– C’est juste, répondit la Zabelle. Je vois que vous êtes une femme d’esprit, et j’ai du bonheur d’être venue ici. On m’avait fait grand-peur de votre mari qui passe pour être un rude homme, et si j’avais pu trouver ailleurs, je n’aurais pas pris sa maison, d’autant plus qu’elle est mauvaise, et qu’il en demande beaucoup d’argent. Mais je vois que vous êtes bonne au pauvre monde, et que vous m’aiderez à élever mon champi. Ah! si la soupe pouvait lui couper sa fièvre! Il ne me manquerait plus que de perdre cet enfant-là! C’est un pauvre profit, et tout ce que je reçois de l’hospice passe à son entretien. Mais je l’aime comme mon enfant, parce que je vois qu’il est bon, et qu’il m’assistera plus tard. Savez-vous qu’il est beau pour son âge, et qu’il sera de bonne heure en état de travailler?”
C’est ainsi que François le Champi fut élevé par les soins et le bon cœur de Madeleine la meunière. Il retrouva la santé très vite, car il était bâti, comme on dit chez nous, à chaux et à sable, et il n’y avait point de richard dans le pays qui n’eût souhaité d’avoir un fils aussi joli de figure et aussi bien construit de ses membres. Avec cela, il était courageux comme un homme; il allait à la rivière comme un poisson, et plongeait jusque sous la pelle du moulin, ne craignant pas plus l’eau que le feu; il sautait sur les poulains les plus folâtres et les conduisait au pré sans même leur passer une corde autour du nez, jouant des talons pour les faire marcher droit et les tenant aux crins pour sauter les fossés avec eux. Et ce qu’il y avait de singulier, c’est qu’il faisait tout cela d’une manière fort tranquille, sans embarras, sans rien dire, et sans quitter son air simple et un peu endormi.
Cet air-là était cause qu’il passait pour sot; mais il n’en est pas moins vrai que s’il fallait dénicher des pies à la pointe du plus haut peuplier, ou retrouver une vache perdue bien loin de la maison, ou encore abattre une grive d’un coup de pierre, il n’y avait pas d’enfant plus hardi, plus adroit et plus sur de son fait. Les autres enfants attribuaient cela au bonheur du sort, qui passe pour être le lot du champi dans ce bas monde. Aussi le laissaient-ils toujours passer le premier dans les amusettes dangereuses.
“Celui-là, disaient-ils, n’attrapera jamais de mal, parce qu’il est champi. Froment de semence craint la vimère du temps; mais folle graine ne périt point.”
Tout alla bien pendant deux ans. La Zabelle se trouva avoir le moyen d’acheter quelques bêtes, on ne sut trop comment. Elle rendit beaucoup de petits services au moulin, et obtint que maître Cadet Blanchet le meunier fît réparer un petit le toit de sa maison qui faisait l’eau de tous côtés. Elle put s’habiller un peu mieux, ainsi que son champi,et elle parut peu à peu moins misérable que quand elle était arrivée. La belle-mère de Madeleine fit bien quelques réflexions assez dures sur la perte de quelques effets et sur la quantité de pain qui se mangeait à la maison. Une fois même, Madeleine fut obligée de s’accuser pour ne pas laisser soupçonner la Zabelle; mais, contre l’attente de la belle-mère, Cadet Blanchet ne se fâcha presque point, et parut même vouloir fermer les yeux.
Le secret de cette complaisance, c’est que Cadet Blanchet était encore très amoureux de sa femme. Madeleine était jolie et nullement coquette, on lui en faisait compliment en tous endroits, et ses affaires allaient fort bien d’ailleurs; comme il était de ces hommes qui ne sont méchants que par crainte d’être malheureux, il avait pour Madeleine plus d’égards qu’on ne l’en aurait cru capable. Cela causait un peu de jalousie à la mère Blanchet, et elle s’en vengeait par de petites tracasseries que Madeleine supportait en silence et sans jamais s’en plaindre à son mari.
C’était bien la meilleure manière de les faire finir plus vite, et jamais on ne vit à cet égard de femme plus patiente et plus raisonnable que Madeleine. Mais on dit chez nous que le profit de la bonté est plus vite usé que celui de la malice, et un jour vint où Madeleine fut questionnée et tancée tout de bon pour ses charités.
C’était une année où les blés avaient grêlé et où la rivière, en débordant, avait gâté les foins. Cadet Blanchet n’était pas de bonne humeur. Un jour qu’il revenait du marché avec un confrère qui venait d’épouser une fort belle fille, ce dernier lui dit: “Au reste, tu n’as pas été à plaindre non plus, dans ton temps, car ta Madelon était aussi une fille très agréable.
– Qu’est-ce que tu veux dire avec mon temps et ta Madelon était? Dirait-on pas que nous sommes vieux, elle et moi? Madeleine n’a encore que vingt ans et je ne sache pas qu’elle soit devenue laide.
– Non, non, je ne dis pas ça, reprit l’autre. Certainement Madeleine est encore bien; mais enfin, quand une femme se marie si jeune, elle n’en a pas pour longtemps à être regardée. Quand ça a nourri un enfant, c’est déjà fatigué; et ta femme n’était pas forte, à preuve que la voilà bien maigre et qu’elle a perdu sa bonne mine. Est-ce qu’elle est malade, cette pauvre Madelon?
– Pas que je sache. Pourquoi donc me demandes-tu ça?
– Dame! je ne sais pas. Je lui trouve un air triste comme quelqu’un qui souffrirait ou qui aurait de l’ennui. Ah! les femmes, ça n’a qu’un moment, c’est comme la vigne en fleur. Il faut que je m’attende aussi à voir la mienne prendre une mine allongée et un air sérieux. Voilà comme nous sommes, nous autres! Tant que nos femmes nous donnent de la jalousie, nous en sommes amoureux. Ça nous fâche, nous crions, nous battons même quelquefois; ça les chagrine, elles pleurent; elles restent à la maison, elles nous craignent, elles s’ennuient, elles ne nous aiment plus. Nous voilà bien contents, nous sommes les maîtres!… Mais voilà aussi qu’un beau matin nous nous avisons que si personne n’a plus envie de notre femme, c’est parce qu’elle est devenue laide, et alors, voyez le sort! nous ne les aimons plus et nous avons envie de celles des autres… Bonsoir, Cadet Blanchet; tu as embrassé ma femme un peu trop fort à ce soir; je l’ai bien vu et je n’ai rien dit. C’est pour te dire à présent que nous n’en serons pas moins bons amis et que je tâcherai de ne pas la rendre triste comme la tienne, parce que je me connais: si je suis jaloux, je serai méchant, et quand je n’aurai plus sujet d’être jaloux, je serai peut-être encore pire…”
Une bonne leçon profite à un bon esprit; mais Cadet Blanchet, quoique intelligent et actif, avait trop d’orgueil pour avoir une bonne tête. Il rentra l’oeil rouge et l’épaule haute. Il regarda Madeleine comme s’il ne l’avait pas vue depuis longtemps. Il s’aperçut qu’elle était pâle et changée. Il lui demanda si elle était malade, d’un ton si rude, qu’elle devint encore plus pâle et repondit qu’elle se portait bien, d’une voix très faible. Il s’en fâcha, Dieu sait pourquoi,