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      “Akila est le meilleur général encore en vie”, dit l'ex-marin avant de croiser le regard d'Irrien. “Pardonnez-moi, mon seigneur.”

      Akila. Irrien avait entendu ce nom, car Lucious lui en avait dit bien plus. Akila, qui avait aidé à libérer Haylon du joug de l'Empire et qui l'avait défendue contre leur flotte. On disait qu'il se battait avec toute la ruse d'un renard, frappait sans s'attarder là où les ennemis s'y attendaient le moins.

      “J'ai toujours apprécié les adversaires forts”, dit Irrien. “Il faut du fer pour aiguiser une épée.”

      Il sortit son épée de son fourreau en cuir noir comme pour illustrer son propos. La lame était tellement huilée qu'elle était bleu-noir et aussi tranchante qu'un rasoir. C'était le type d'objet qui, pour quelqu'un d'autre qu'Irrien, aurait pu être l'outil d'un bourreau, mais Irrien s'était familiarisé avec son équilibre et s'était entraîné pour avoir la force de bien la manier. Il avait d'autres armes : des couteaux et des fils à étrangler, une épée en forme de lune incurvée et une épée solaire aux nombreuses pointes. Cependant, c'était cette arme-ci que les gens connaissaient. Si elle n'avait aucun nom, c'était seulement parce qu'Irrien pensait que c'était idiot de nommer une épée.

      Il vit que cette épée effrayait son nouvel esclave.

      “Autrefois, les prêtres sacrifiaient un esclave avant de livrer bataille. Ils espéraient étancher la soif de la mort avant qu'elle ne puisse s'intéresser à un général. Plus tard, ils en vinrent à sacrifier l'esclave aux dieux de la guerre en espérant que ces derniers apporteraient leur soutien à leur camp. A genoux.”

      Irrien vit l'homme le faire comme par réflexe, en dépit de sa terreur, ou peut-être à cause d'elle.

      “Pitié”, supplia-t-il.

      Irrien lui donna un coup de pied assez violent pour le faire tomber à plat ventre, la tête dépassant de la proue du navire. “Je t'ai dit de te taire. Reste ici et estime-toi heureux que je n'aie aucun intérêt pour les prêtres et leurs idioties. S'il existe des dieux de la mort, leur soif ne saurait être étanchée. S'il existe des dieux de la guerre, ils soutiennent l'homme qui a le plus de soldats.”

      Il se retourna vers le reste de son navire. Il souleva son épée d'une main et les esclaves qui avaient attendu ses instructions se précipitèrent vers des cors et s'en saisirent. Quand il hocha la tête, les cors sonnèrent fortement une fois. Irrien vit ses soldats remonter les catapultes et les balistes et mettre le feu à leurs projectiles.

      Irrien se tenait droit, noir contre la lumière du soleil. Sa peau bronzée et ses vêtements sombres faisaient de lui une ombre qui cachait la cité.

      “Je vous avais dit que nous irions à Delos et nous y voici !” cria-t-il. “ Je vous avais dit que nous prendrions leur cité et nous allons le faire !”

      Il attendit que les acclamations qui suivirent se calment.

      “J'ai donné un message aux éclaireurs que nous leur avons renvoyés et je compte y être fidèle !” Cette fois-ci, Irrien n'attendit pas. “Tous les hommes, toutes les femmes et tous les enfants de l'Empire sont maintenant des esclaves. Tous ceux que vous croiserez là-bas et qui seront dépourvus de l'insigne des maîtres appartiendront à ceux qui les prendront et vous pourrez en faire ce que vous serez assez fort pour faire. Tous ceux qui prétendront détenir des biens seront des menteurs et vous pourrez les leur prendre. Tous ceux qui nous désobéiront devront être punis. Tous ceux qui nous résisteront seront des rebelles et seront traités sans pitié !”

      Irrien avait découvert que la pitié était une autre de ces blagues en lesquelles les gens aimaient faire semblant de croire. Pourquoi un homme laisserait-il la vie à un ennemi si cela ne lui rapportait rien ? La poussière apprenait des choses simples : si on était faible, on mourait. Si on était fort, on prenait au monde ce qu'on pouvait lui prendre.

      Or, Irrien comptait tout lui prendre.

      Le plus important, c'était qu'il se sentait plus vivant que jamais à ce moment-là. Il s'était battu pour devenir Première Pierre puis s'était rendu compte qu'il ne lui restait nulle part où aller. A force de jouer aux jeux politiques de la cité et à s'immiscer dans les petites querelles des autres pierres pour s'amuser, il avait senti qu'il commençait à stagner. Cela dit, cette guerre … cette guerre allait sûrement se révéler bien plus intéressante.

      “Préparez-vous !” cria-t-il à ses hommes. “Si vous obéissez à mes ordres, nous réussirons. Si vous échouez, vous serez moins que poussière à mes yeux.”

      Il revint à l'endroit où l'ex-marin était encore allongé, la tête dépassant par-dessus le bord du navire. Il pensait probablement que ce serait tout. Irrien avait constaté que ces hommes-là espéraient que les choses n'empireraient pas au lieu de voir le danger et d'agir.

      “Tu aurais pu mourir au combat”, dit-il, sa grande épée encore levée. “Tu aurais pu mourir en homme au lieu de finir piteusement sacrifié.”

      L'homme se tourna et leva les yeux vers lui. “Vous avez dit … vous avez dit que vous ne croyiez pas à ça.”

      Irrien haussa les épaules. “Les prêtres sont des idiots mais le peuple croit en leurs idioties. Si ça les pousse à se battre plus fort, pourquoi pas ?”

      D'une botte, il plaqua l'esclave sur le pont en s'assurant que tous ceux qui étaient là puissent le voir. Il voulait que tout le monde voie le premier moment de sa conquête.

      “Je t'offre à la mort”, cria-t-il. “Toi, et tous ceux qui s'élèvent contre nous !”

      Il abattit son épée et la planta dans la poitrine du pauvre hère, lui transperçant le cœur. Irrien n'attendit pas. Il la souleva à nouveau et, pour une fois, sa lame de bourreau accomplit ce pour quoi elle avait été forgée. Elle trancha proprement le cou au marin esclave. Ce n'était pas de la pitié mais de la fierté, car la Première Pierre n'aurait jamais accepté jamais de garder une arme mal aiguisée.

      Il leva l'épée, dont le tranchant était encore ensanglanté.

      “Commencez !”

      On sonna du cor. Les catapultes lancèrent leurs projectiles, les archers tirèrent leurs flèches vers leurs ennemis et le ciel se remplit de feu. Des navires plus petits se faufilèrent vers leurs cibles.

      L'espace d'un instant, Irrien se surprit à penser à cet “Akila”, l'homme qui se tenait forcément là-bas en attendant de voir ce qui allait se passer. Il se demanda si, à ce moment-là, son ennemi potentiel avait peur.

      Il aurait dû avoir peur.

      CHAPITRE TROIS

      Thanos s'agenouilla au-dessus du corps de son frère et, l'espace d'un instant, il eut l'impression que le monde avait cessé de tourner. A ce moment-là, il ne sut que penser ou ressentir. Il ne sut que faire.

      Il s'était attendu, quand il tuerait Lucious, à avoir une sensation de triomphe, ou au moins à se sentir soulagé que ce soit enfin terminé. Il s'était attendu à avoir finalement la sensation que ses proches étaient en sécurité.

      En fait, Thanos sentit le chagrin monter en lui et il offrit ses larmes à un frère qui ne les avait probablement jamais méritées. Cependant, cela n'avait plus d'importance. Ce qui comptait, c'était que Lucious était son demi-frère et qu'il était mort.

      Il était mort le poignard de Thanos planté dans le cœur. Thanos sentait le sang de Lucious sur ses mains et il semblait y en avoir trop pour qu'il tienne dans un seul corps. Une petite partie de lui-même s'attendait à ce que ce sang ait quelque chose de différent, qu'il contienne un signe de la folie qui s'était emparée de Lucious ou de la rapacité maladive qui avait semblé l'habiter. Au lieu de ça, Lucious n'était qu'une coquille silencieuse et vide.

      Alors, Thanos voulut faire quelque chose pour son frère, le faire enterrer ou au moins le confier à un prêtre. Cependant,